La 2ème édition du Prix littéraire-Frontières Léonora Miano est lancée, portée par le LOTERR et le CREM.
La liste des 10 ouvrages en lice sera présentée le 2 février à 18h30 à la librairie Autour du Monde à Metz. Le prix sera remis à l’occasion du festival Le livre à Metz, le 9 avril 2022.
Cette année, le géographe Bernard Reitel a rejoint le jury et nous donne sa lecture des frontières à travers la littérature :
Pourquoi avoir accepté de participer à cette 2ème édition du Prix littéraire-Frontières Léonora Miano ?
Bernard Reitel : « Parce qu’on ne me l’avait pas demandé lors de la première édition. Plus sérieusement, participer à ce prix est une forme de défi, car il s’agit de concilier le plaisir de la lecture de romans avec celui de maintenir une distance critique avec ces derniers. En effet, l’un de notre travail consiste, en tant que scientifique, à évaluer les écrits de nos pairs, qu’il s’agisse d’articles ou d’ouvrages afin de vérifier la qualité et la pertinence des propos. Nous encadrons des doctorant.e.s et relisons leurs travaux. Grâce à cela, nous arrivons à développer un regard critique. Par ailleurs, je suis un vrai lecteur de romans. J’en lis environ 50 à 60 par an, et je pense être ouvert à une grande variété de style et d’origine. J’avoue qu’au-delà du plaisir de la lecture, je ne peux m’empêcher de chercher une dimension géographique dans ces textes. »
Qu’évoque pour vous la thématique de la frontière dans votre quotidien ?
Bernard Reitel : « La frontière au sens d’un objet politique associé à un dispositif de régulation tout en étant un marqueur identitaire est avant tout un objet de recherche passionnant dont les transformations et la plasticité ne cessent de m’étonner. La frontière internationale, n’est cependant pas pour moi la seule frontière qui mérite d’être étudiée. Il convient ainsi de prendre cet objet dans ses différentes dimensions, sociale, symbolique, voire métaphorique. Si l’on prend la limite internationale, j’ai longtemps habité à Strasbourg, où la frontière franco-allemande joue un vrai rôle sur le plan tant symbolique que fonctionnel, une ancienne frontière vive qui s’est largement apaisée grâce à la coopération entre les deux pays et l’intégration européenne. Je me souviendrais toujours de la passerelle piéton-cycliste construite en 2004 sur le Rhin entre Strasbourg et Kehl que j’ai franchi avec un groupe d’étudiants chinois qui visitaient l’Europe et auxquels j’expliquais que ce pont symbolisait le rapprochement entre ces deux pays qui s’étaient affrontés à plusieurs reprises lors de conflits guerriers. Je peux vous garantir leur étonnement, voir leur incompréhension : peut-on encore parler de frontière lorsqu’il n’y a plus de contrôle ? Plus généralement, la frontière correspond pour moi à tout dispositif associé à une forme plus ou moins élaborée de contrôle qui cherche à «mettre de la distance dans la proximité» pour reprendre l’expression de Christiane Arbaret-Schulz qui fut une chercheuse du CNRS à Strasbourg. »
Quel livre a marqué votre vie et pourquoi ?
Bernard Reitel : « Si l’on reste dans le registre de la frontière, je citerai deux ouvrages, car je pense avoir été plus marqué par plusieurs livres que par un seul. Le premier est «l’insoutenable légèreté de l’être» de Milan Kundera car il évoque les différences entre Europe de l’Ouest et Europe de l’Est (l’action débute en Tchécoslovaquie au moment du printemps de Prague en 1968), mais aussi la complexité des relations hommes-femmes. Ce livre a eu d’autant plus de résonnance que je l’ai lu alors que j’effectuais mon service militaire dans les Forces Françaises en Allemagne (FFA) à Baden-Baden en 1986. Nous étions alors encore largement marqués par la division du Rideau de fer entre Est et Ouest et par l’esprit de la guerre froide. Par ailleurs, j’étais frappé par la manière dont les systèmes politiques pouvaient contraindre le comportement des individus et par la grande liberté de style de l’auteur. L’autre livre, lu quelques années plus tard, est «La ville de nulle part» d’Alison Lurie qui raconte la dégradation des relations au sein d’un jeune couple qui quitte la côte Nord-Est des États-Unis pour la Californie. Chacun des deux membres réagit fort différemment par rapport à ce nouvel environnement marqué par une culture hédoniste. L’écriture sensible d’Alison Lurie permet de se faire une image assez claire de la personnalité des deux héros du livre et de saisir les différences perçus entre les deux systèmes culturels. J’ai ainsi compris que les États-Unis n’étaient pas un pays homogène sur le plan culturel. Je suis très sensible aux relations hommes-femmes et aux rapports que des individus entretiennent avec les sociétés dans lesquels ils s’inscrivent.
Bernard Reitel est Professeur de géographie politique et urbaine à l’université d’Artois à Arras. Titulaire d’une chaire Jean Monnet « frontières et intégration européenne », entre 2017 et 2020, ses champs de recherche portent sur les régions frontalières, la coopération territoriale européenne et l’intégration européenne à différentes échelles. L’étude des aménagements urbains et de la gouvernance urbaine dans les villes frontalières lui permet de s’interroger sur l’évolution des fonctions des frontières dans un contexte d’intégration européenne.