Le huitième congrès de la Société française d’Histoire des sciences et des techniques se déroulera du 9 au 11 avril, à l’Institut des sciences du digital, management et cognition (IDMC), Pôle Herbert Simon, 13 rue Michel Ney à Nancy.
A cette occasion, Gilles Marseille, chercheur au LOTERR, fera une communication le jeudi 10 avril traitant des espaces spécifiques conçus par l’architecte Edmond Lay pour les laboratoires de la Faculté des sciences de Nancy (amphi 201 à 9h).
Au printemps 1963, le géologue et doyen de la Faculté des sciences de Nancy, Marcel Roubault, s’adresse avec enthousiasme à son équipe : une solution « à la fois originale et très séduisante » a enfin été trouvée pour accueillir conjointement les deuxième et troisième cycles de la faculté, et les espaces de recherche en botanique, chimie, géologie, mathématiques, physique et zoologie. Le dispositif original, qu’il attribue abusivement aux architectes Georges Tourry et Claude Goclowski, a en fait été imaginé par leur jeune collègue Edmond Lay, praticien implanté à Tarbes et récemment revenu d’un long séjour aux États-Unis, passé au contact des œuvres organiques de Frank Lloyd Wright et de ses épigones.
Une mégastructure de près de 60 000 m2
Pour la nouvelle faculté nancéienne, Lay propose une mégastructure de près de 60 000 m2 et 380 m d’envergure, formée de cinq parties intriquées. Les laboratoires de recherche se dressent en deux hauts volumes sur un épais disque abritant les espaces pédagogiques ; un corps de bâtiment plus modeste est dédié à l’administration, tandis que la bibliothèque, positionnée à l’écart, est reliée à l’ensemble par une galerie. Conçue en réponse aux désagréments du terrain, la composition s’avère être un choix radical, dont le puissant message symbolique s’accompagne d’un pari typologique risqué, en regard de la précision et de la rigueur que supposent les sciences expérimentales.
Refusant le conventionnel réseau de barres monofonctionnelles vu sur d’autres campus français, l’architecte fusionne ici les lieux d’apprentissage, d’expérimentations pédagogiques, de recherches fondamentales, d’administration et de socialisation, en un seul édifice. Bien des séances de travaux pratiques se déroulent dans les salles aveugles de la galette, généreusement éclairées par un bandeau de baies trapézoïdales en partie haute. Les recherches, qu’elles soient de biologie, chimie, géologie, mathématiques ou physique, sont toutes supposées prendre place dans les mêmes unités spatiales, constituées de deux niveaux de bureaux reliés par un escalier et sa coursive, ouvrant sur une vaste salle double hauteur. Ces cellules s’agglomèrent en un jeu de juxtaposition et de superposition aboutissant aux volumes en courbes et contre-courbes de la « pince de crabe » à l’est et d’un ample bol évasé à l’ouest. Toutes s’isolent de leurs voisines par d’épais murs de refend radiaux, fondés sur des pieux de 10 ou 15 m déjouant les faiblesses d’un sous-sol instable. Toutes sont liées par un réseau de circulation fluide, usant des mêmes courbes et contre-courbes.
L’audace d’un tel dispositif a dû séduire une communauté scientifique jusque-là dispersée dans plusieurs quartiers disparates du centre-ville. On ignore tout du processus ayant abouti au dessin de ces cellules de recherche, ni leur accueil par les usagers, tant la rhétorique des maîtrises d’œuvre et d’ouvrage se concentre sur la composition d’ensemble. Mais très vite des lacunes apparaissent dans ce schéma trop parfait. La mégastructure unificatrice ne peut accueillir en son sein le local des produits dangereux, qui doit être satellisé à l’écart. Les machines de cryogénie s’avèrent trop lourdes pour les planchers-types ; on imagine donc les rassembler dans un nouveau bâtiment au sud, avant de les glisser sous le bol, dont la cour intérieure dépérit depuis ce recloisonnement forcé. Les individus et les fluides, qu’on s’attend à voir circuler sans entraves dans cet ensemble organique, se heurtent aux barrières physiques ou électroniques, imposées par le système structurel et les impératifs de sécurité. L’enthousiasme et l’optimisme qu’on devinait en 1963 sous le crayon d’Edmond Lay comme dans les propos de Marcel Roubault ont laissé place à un relatif scepticisme, qu’il s’agit désormais de conjurer, dans la perspective d’une réhabilitation conjuguant les qualités architecturales de l’édifice et les besoins de ses usagers.
Contact : gilles.marseille@univ-lorraine.fr